jeudi 29 mars 2012

Le prestige de la langue


L’anglais est la langue des affaires, le français, celle de la culture et de la gastronomie. C’est ce que beaucoup prétendent, c’est ce que beaucoup croient. Mais les mécanismes ou le lexique de ces langues les prédisposent-ils à ces domaines ou est-ce qu’il s’agit de perceptions?

Ce qui nous amène à cataloguer les langues ne réside pas dans les langues elles-mêmes, mais dans les fonctions qu’elles remplissent. Par exemple, puisque la France est considérée comme le berceau de la haute gastronomie, les termes francophones sont conservés dans la terminologie culinaire d’autres langues et sont employés par des chefs de renom[1], notamment des anglophones. Un autre exemple, l’anglais, langue principale et officielle des États-Unis, super puissance économique mondiale, représente bien d’où une langue peut tirer son prestige[2].

Cette importance de l’économie a fait de l’anglais la langue privilégiée pour le commerce international et puis l’a rendu de plus en plus usité pour tout ce qui touche les « affaires »[3]. Ce qui en fait une langue considérée comme prestigieuse dans ce domaine et par extension, puisque l’économie régit en tout ou en partie nos vies, possède une notoriété plus grande que certaines langues maternelles[4].

Mais l’anglais n’a pas toujours dominé ainsi. Jadis, c’était le français qui avait préséance sur le monde occidental. Ainsi, les nobles d’Angleterre se devaient de connaître le français, une langue tellement prestigieuse à l’époque qu’une de ses premières grammaires, sinon la première, est l’œuvre de l’Anglais John Palsgrave.
Et les Anglais n’étaient pas les seuls à parler français, les Tsars de Russie, notamment Alexandre III, parlaient le français puisque à l’époque la puissance économique et militaire de la France n’était pas négligeable.

Il existe une autre forme de prestige, moins « flamboyante » que celle que nous venons de voir, un prestige cependant plus près de nous à certains égards. Les variétés de la langue, les niveaux de langage possèdent eux aussi un certain prestige.

On ressent tous un jugement sur la valeur d’un langage familier ou populaire par rapport à la forme standard de la langue (celle qui jouit du prestige « supérieur » au sein de la communauté linguistique). Alors, comment expliquer que certaines personnes accordent de l’importance à une forme qui ne dispose pas de ce prestige? Généralement, c’est motivé par le côté affectif accordé à cette variante[5] (si c’est la variété utilisée par le milieu social dans lequel on évolue ou dans lequel on désire évoluer).
C’est donc deux formes de prestige qui s’opposent. En général, les individus privilégient le prestige apparent puisqu’il est issu de « l’élite » de la société, d’un niveau vers lequel on aspire à s’élever. Cependant, certaines personnes accordent plus de valeur au prestige latent, comme s’il avait l’impression de commettre une trahison en changeant de registre de langue.

Si rien dans les langues ne motive qu’une soit plus « importante » qu’une autre ou qu’une variante soit prédominante, il faut toutefois être conscient de ce phénomène social ne serait-ce que pour en mesurer pleinement la portée.


[2] Cette forme de prestige se nomme prestige apparent.
[3] Des réunions peuvent se dérouler en anglais alors que tout le monde maîtrise le français ou, encore plus symptomatique, alors que toutes les personnes présentes sont francophones.
[4] Par exemple, le néerlandais hollandais qui, bien que langue officielle aux Pays-Bas, disparait progressivement au profit de l’anglais.
[5] Cette forme de prestige se nomme prestige latent.

mercredi 14 mars 2012

La variation topolectale

Qu'est-ce que la variation topolectale? Serait-ce trop facile de dire qu’il s’agit d’expressions propres à chaque région, pays ou culture? Probablement! Mais avant de préciser davantage le concept, pour simplifier cette chronique et sans vouloir lancer un débat, nous tiendrons pour acquis qu'il y a une variété commune à chaque communauté de la langue[1] qui permet à chaque locuteur de « comprendre » n'importe quel autre locuteur, peu importe sa provenance. De plus, s'il y a une forme commune à l'ensemble des communautés linguistiques, il peut y avoir une forme standard pour une communauté précise (p. ex. : le québécois standard en opposition au français standard).

Si les québécismes sont nombreux, les francismes le sont tout autant et les régionalismes québécois ne sont pas en reste. On peut penser aux mots urgentistes, aux sucettes et aux petits-déjeuners de la France alors qu’au Québec on parle des urgentologues, des suçons et des déjeuners. Sans oublier, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, nos « tourtières » bien plus copieuses que leur homonyme du reste du Québec et qui sont bien loin de « faire simple » quoi qu’en disent certains « grands talents ».

Ces variations sont-elles obligatoirement à proscrire? Est-ce que le fait qu’un mot soit un régionalisme en fait automatiquement un terme familier ou vulgaire? Si l’on se base sur l’usage, ces régiolectes ne sont pas forcément « marqués », certains font partie d’une forme standard de la langue alors que d’autres sont considérés comme familiers, vulgaires, vieillis ou archaïques. Et, avec le temps, les usages changent[2], évoluent au fur et à mesure qu’un terme prend ou perd de l’importance au sein d’une communauté jusqu’à s’étendre chez d’autres communautés ou à disparaître du registre standard[3].


[1] Pour le français, nous parlerons de français standard.
[2] Par exemple : babillard, qui portait encore la marque de familier dans la 4e édition du Multidictionnaire alors qu’on ne retrouve plus cette marque dans l’édition suivante.
[3] Pensons à courriel, qui était considéré comme un québécisme et qui s’implante graduellement dans la totalité de la francophonie, ou à fin de semaine, qui était en usage dans le monde et qui est maintenant marqué comme québécisme.