jeudi 14 mai 2015

Cinq mots et une expression malchanceux

CHRONIQUE LINGUISTIQUE DU PARTICIPE
CINQ MOTS ET UNE EXPRESSION MALCHANCEUX
Il est arrivé à tout un chacun, à un moment ou à un autre, qu’importe sa maîtrise de la langue, d’utiliser incorrectement des mots. En effet, certains emplois, bien qu’erronés, sont parfois si ancrés dans l’usage qu’ils échappent même à l’œil le plus aiguisé. Ils prennent soit la forme de l’impropriété, c’est-à-dire l’emploi d’un mot ou d’une expression dans un sens qu’il n’a pas, soit celle de l’anglicisme sémantique, à savoir l’emprunt à l’anglais du sens d’un mot dont la forme existe en français. Comme ces écarts de langue se comptent par centaines, le présent article ne peut donc pas en dresser une liste complète. Il présente plutôt quelques-uns des cas les plus courants au Québec afin de vous sensibiliser à la question. Si vous souhaitez en savoir davantage, la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française contient un grand nombre d’articles sur le sujet.

LES ANGLICISMES SÉMANTIQUES
L’anglais et le français sont des langues très similaires : elles descendent toutes les deux du latin ; leur alphabet est presque identique ; leur structure phrastique est similaire ; elles possèdent aussi un grand nombre de mots proches d’un point de vue orthographique et sémantique. La langue française du Québec, province enveloppée par des territoires anglophones depuis ses origines, a donc subi l’influence de l’anglais et s’est vue envahie par une importante variété d’anglicismes, dont ceux dits sémantiques, qui, de par leur nature, se sont ancrés dans l’usage plus subtilement que les autres. Parmi eux, il y a les mots identifier, spécifique et alternative.

Identifier
Ce verbe est souvent utilisé comme synonyme du verbe nommer ; pourtant, en français, il n’a pas le sens de « indiquer son identité » en français. Par exemple, « veuillez vous identifier » est une formule fautive.
Identifier devrait plutôt être utilisé dans le sens de «  considérer comme identique », « établir l’origine, la nature » ou « reconnaître comme appartenant à une espèce, à une catégorie, etc. ». On peut notamment identifier des produits chimiques en laboratoire comme bases ou acides, identifier des animaux à une espèce ou identifier une personne à un organisme, à une vedette.

Spécifique
Le verbe spécifier étant un synonyme de préciser et d’expliciter, on serait porté à croire que le cas de l’adjectif spécifique est analogue, et que celui-ci possède ipso facto le sens de précis ou d’explicite.
Ex. : « L’élève ne connait pas la raison spécifique de son échec. »
On ne peut toutefois l’employer ainsi. Cet adjectif, de même que l’adverbe spécifiquement, ne possède pas, contrairement au verbe, une acception anglaise. Son utilisation se limite à indiquer que quelqu’un ou quelque chose est particulier à une espèce ou à une chose. Par exemple, une loi peut être spécifique à un domaine et un goût, être spécifique à un aliment.

Alternative
Les expressions comme « solutions de rechange » ou « autres possibilités » ne sont pas suffisamment élégantes pour certains, qui, à tort, se considèrent plus éloquents et concis en utilisant alternative.
Ex. : « Plusieurs alternatives s’offraient au joueur de poker : égaliser, relancer ou se 
         coucher. »
La signification de ce mot en français en surprendra plus d’un. D’une part, celui-ci ne peut, bien souvent, prendre la marque du pluriel ; d’autre part, il ne doit être utilisé que lorsque deux solutions sont envisageables. Par définition, une alternative n’est pas un choix, mais une situation où deux possibilités s’offrent à quelqu’un, lesquelles mènent, il importe de ne jamais l’oublier, à des résultats différents.
Ex. : Le joueur de poker est confronté à une alternative : relancer ou se coucher.

LES IMPROPRIÉTÉS
Les impropriétés peuvent naître dans une langue pour des raisons variées, raisons qui ne sont pas toujours faciles à cerner. Deux cas sont particulièrement récurrents tout de même. Certains termes, peu courants dans l’usage, sont parfois confondus avec leurs paronymes. D’autres possèdent une définition très proche d’un autre mot, ce qui amène certaines personnes à considérer comme synonymes deux termes qui, en réalité, ne le sont pas. Au Québec, l’emploi impropre de littéralement, conventionnel et au niveau de est fréquent.

Conventionnel
Ce mot est souvent perçu comme un synonyme de traditionnel.
Ex. : « Cet homme cuisine un plat conventionnel. »
Bien que ces termes possèdent une définition similaire (ils sont utilisés pour indiquer que « quelque chose est conforme à »), il existe une importante nuance entre les deux. Conventionnel sert à indiquer que quelque chose respecte les convenances ou, plus péjorativement, que quelque chose manque de naturel ou est trop attaché aux règles, alors que traditionnel sert plutôt à préciser que quelque chose est passé dans les habitudes, est depuis longtemps utilisé.
Ex. : Cet homme cuisine un plat traditionnel.
        La secrétaire salua de manière conventionnelle les nouveaux arrivés.

Littéralement
Comme cet adverbe semble plus recherché, plusieurs l’utilisent pour remplacer la locution tout à fait, expression plus courante. Par ailleurs, d’autres croient que littéralement découle du mot littéraire et s’en servent pour signaler la valeur métaphorique de leur propos.
Ex. : « Je suis littéralement ébahi que tu n’aies pas téléphoné. »
        « Elle est littéralement morte de faim ! »
En fait, le terme littéralement vient de littéral, un paronyme de littéraire, signifiant « qui est pris au sens strict ». Ainsi, si une personne dit qu’elle est littéralement morte de fatigue, ce n’est pas une métaphore : elle est réellement décédée et, en le signalant, défie toute logique. Si l’utilisation de tout à fait ennuie certaines personnes, ces dernières peuvent opter plutôt pour complètement, entièrement, véritablement ou totalement.

Au niveau de
Au niveau de, locution célèbre employée à toutes les sauces, est très souvent considérée comme un synonyme d’expressions telles que dans le domaine de, du point de vue de, sur le plan de, etc.
Ex. : « Au niveau de la relation des personnages, on observe que… »
On peut se demander si le sens du mot niveau est lui-même similaire à celui de point, de domaine ou de plan. Une brève recherche permet de constater que ce n’est pas le cas : le terme niveau ne peut être utilisé que lorsqu’il est question de hauteur ou de hiérarchie. Qu’il soit intégré à la locution ne change rien à son sens premier. Au niveau de ne peut ainsi s’utiliser que dans les cas où il est question d’élévation, de rang ou de hauteur.
Ex. : Les étagères au niveau de sa poitrine supportaient la vieille vaisselle.
        Au niveau du gouvernement fédéral, des décisions importantes seront prises.

POUR PLUS D’INFORMATIONS

Anthony Gagnon Tremblay

Stagiaire au Participe